FOCUS

TRANSGENÈSE MURINE

La transgenèse, apparue en 1973, est le fait d’incorporer un ou plusieurs gènes dans le génome d’un organisme vivant. Fortement pratiquée sur des modèles murins, elle participe à l’étude du fonctionnement d’un gène ou encore la création d’un modèle animal disposant de caractéristiques nouvelles. 

1. Biologie moléculaire : rappels importants 

A) STRUCTURE D’UN GENE CHEZ LES EUCARYOTES 

Un gène est une séquence de nucléotides de l’ADN contenant l’information nécessaire permettant la production d’un ARN, celui-ci pouvant éventuellement être traduit en protéine. L’unité de transcription, correspondant à la partie du gène transcrite, possède un promoteur, une région transcrite et un terminateur de transcription (figure 1). 


Figure 1 : Schéma représentant une unité de transcription 

    a) Les principaux types de promoteurs

Un promoteur est une région qui contient des séquences de régulation de la transcription. Il détermine ainsi l’orientation et le début de la transcription en fixant initialement l’ARN polymérase. Cette enzyme synthétise un pré-ARN à partir d’une séquence d’ADN. Le promoteur se trouve donc en amont de la région transcrite. Il en existe deux types : 

- Les promoteurs constitutifs : permettent l’expression du gène dans tous les tissus sans tenir compte de l’environnement ambiant ou du niveau de développement de l’organisme. Il s’agit d’éléments de contrôle appelés enhancers et silencers. Lorsque des protéines régulatrices s’y attachent, l’effet est de respectivement faciliter ou d’empêcher l’accès de l’ARN polymérase au promoteur, conduisant à l’augmentation ou la diminution de la transcription. 

- Les promoteurs inductibles : leur activation se fait en réponse de la présence d’un composé particulier (=inducteur) ou en réponse à une condition externe définie telle que la localisation de la cellule. 

    b) La région transcrite 

Cette région contient des introns qui sont séquences nucléotidiques transcrites mais non traduites (éliminées par un phénomène d’épissage) et des exons qui sont des séquences transcrites et traduites. 

    c) Le terminateur de transcription

Il s’agit d’une séquence du génome qui marque la fin de la région transcrite. Chez les eucaryotes, la terminaison peut correspondre à une séquence d’ADN ‘TTATTT’ appelée signal de polyadénylation. Elle fait intervenir un complexe appelé CPSF (Cleavage ans Polyadenylation Specify Factor) qui reconnaît ce signal et déclenche l’arrêt de l’ARN polymérase. 

B) TRANSCRIPTION 

La transcription correspond à la synthèse d’un ARN simple brin à partir d’une matrice d’ADN double brin. Cette synthèse se fait à travers une enzyme, l’ARN polymérase, qui lit qu’un seul des deux brins d’ADN. Cette enzyme synthétise dans le sens 5’-3’ et lit donc le brin 3’-5’. On distingue alors : 
    - Le brin codant = brin sens = sens 5’-3’
    - Le brin matrice = brin transcrit = brin non codant = brin antisens = sens 3’-5’

Ainsi, le pré-ARN est copié à partir du brin matrice et possède la même séquence que le brin codant à la différence que la base nucléique, thymine (T), est remplacée par une autre base nucléique, l’uracile (U). La transcription se fait en 3 étapes : 

    a) Initiation 

L’ARN polymérase ne peut pas se fixer seule à l’ADN sans l'intervention de facteurs généraux de transcription (FT). Ces derniers sont des protéines qui reconnaissent des séquences cibles de l’ADN génomique tel que le promoteur nommé "boite TATA". Une fois le promoteur reconnu, les facteurs engendrent la formation du complexe de pré-initiation de la transcription (PIC) nécessaire à la transcription (figure 2)

Figure 2 : Schéma représentant la formation du complexe de pré-initiation de la transcription (PIC) nécessaire à la transcription. Son assemblage se fait selon un ordre hiérarchique et séquentiel : 1. Le promoteur TATA box recrute spécifiquement TFIID, un facteur de transcription; 2. Fixation d’autres facteurs de transcription; 3. Recrutement de l’ARN polymérase II. 

    b) Elongation 

L’élongation se fait suite à la phosphorylation du domaine C-terminal de l’ARN polymérase II. La séparation des deux brins d’ADN est possible grâce à l’activité hélicase de l’enzyme. L’addition séquentielle des ribonucléotides peut alors démarrer (figure 3). 

Figure 3 : Schéma représentant la transcription d’un brin d’ADN pré-ARN par l’ARN polymérase II. Cette étape permet la formation d’un pré-ARN (en rose). 

    c) Terminaison : 

Cette étape est assurée par des signaux spécifiques tel que le signal de polyadénylation ‘AATAAA’. L’ARN polymérase poursuit la transcription un peu après cette séquence puis est libérée sous l’action de divers facteurs. La transcription proprement dite est terminée mais le pré-ARN obtenu n’est pas fonctionnel pour autant et doit subir des étapes de maturation correspondant notamment à une étape d’épissage (= excision des introns). Après maturation, le pré-ARN devient un ARN messager prêt à être traduit. 

C) TRADUCTION 

La traduction correspond à l’étape de synthèse des protéines, à partir de l’information génétique contenue dans les ARN messagers. Cette synthèse, cytosolique, nécessite l’intervention : 
   - D’un ARN de transfert : ARN apportant les acides-aminés complémentaire aux codons, ou triplets de nucléotides, lus dans l’ARN messager. Cette complémentarité dépend du code génétique. 
  - Des ribosomes : Organites cytoplasmiques décodant l’information contenue dans l’ARN messager. 

2. Le système Cre-Lox

La recombinaison Cre-lox, premièrement pratiquée en 2000, est une méthode transgénique utilisée pour effectuer des modifications génétiques. Ce système se base sur l’utilisation de la Cre-recombinase, une enzyme qui va permettre la recombinaison de séquences LoxP entre elles.

A) LA CRE-RECOMBINASE 

La Cre (= Causes REcombination) recombinase (figure 4), est une enzyme tyrosine recombinase qui va permettre la recombinaison de séquences loxP entre elles. Son activation nécessite la dimérisation de l’enzyme. 

Figure 4 : Représentation 3D de la Cre-recombinase (en vert) sous forme dimère et liant un brin d’ADN (en orange)

B) LES SEQUENCES LOXP

Les séquences loxP sont constituées de 34 paires de bases (pb) et peuvent être divisées en trois parties distinctes (Figure 5) : 
    - Régions de reconnaissance : 2 régions constituées de 13 paires de bases palindromiques et localisées en amont et en aval de la séquence. 
     - Région intercalaire : site asymétrique de huit paires de bases entre les régions de reconnaissances. Contrairement aux régions de reconnaissances, cette séquencs n'est pas palindromiques donnant alors à la séquence une certaine direction. 

Généralement, les sites loxP vont par paire pour les manipulations génétiques.
Figure 5 : A. Structure générale des séquences loxP : N indique des bases qui peuvent varier. B. Tableau représentant trois exemples de sites loxP alternatifs : les petites lettres indiquent les bases mutées par rapport au wild type. 

C) LES MÉCANISMES POSSIBLES 

Ainsi, selon l’orientation des séquences loxP, la Cre-recombinase va pouvoir agir selon trois mécanismes différents (figure 6): 
    - Délétion du gène ciblé : Si les sites loxP sont sur le même brin d'ADN et à direction identique
     - Inversion du gène ciblé : Si les sites loxP sont sur le même brin d'ADN mais à direction opposée l'un de l'autre
    - Translocation chromosomal : Si les sites loxP sont sur des brins d'ADN différents


Figure 6 :  Schéma explicatif du système Cre-Lox selon les trois mécanismes possibles. 

D) INTÉRÊTS ET LIMITES

Le système de recombinaison Cre-Lox a été exploité principalement pour permettre l’expression contrôlée d’un transgène dans l’espace et le temps. Il est alors possible d’obtenir, par exmeple, des lignées d’animaux présentant des knock-out tissu-spécifique ou exprimant une protéine, d’une autre espèce, après l’intégration précise d’un transgène d’intérêt dans le génome de l’animal. D’un point de vue général, cette méthode est très utilisée dans les études de pathologies car elle permet d’étudier l’influence de mutations inactivant des protéines dans un tissu spécifique. 

Au niveau des limites de ce système, la création de lignées génétiquement modifiées est une technique à haute valeur technologique, coûteuse en temps et en argent. 

3. Les modèles murins en vue d’une recombinaison Cre-Lox 

A) LES LIGNÉES SIMPLES TRANSGÉNIQUES 

Les lignées simples transgéniques désignent des lignées de souris dîtes pures. Une lignée pure désigne une population d’individus possédant tous la même empreinte génétique. Ces individus présentent ainsi les mêmes caractéristiques morphologiques et physiologiques. Les descendants seront tous semblables entre eux et aux géniteurs.

Ces lignées sont obtenues par croisement en retour répétés, ou rétrocroisement, entre souris porteuses du transgène (donneuse) et souris de colonies consanguines dont le génome est connu (receveuse). Cette opération consiste en le croisement d'un animal hybride, possédant le transgène, avec le parent receveur. L'identification de l'hybride se fait par polymerase chain reaction (PCR) et Southern Blot. Ainsi, à chaque croisement avec la lignée receveuse, la proportion du génome des individus qui provient de la lignée donneuse est divisée par 2 et contient le transgène d'intérêt. Le génome des souris donneuses est alors de 50% chez les individus F1, 25% chez les F2, 12,5% chez les F3… Chez la génération F10, la proportion théorique est de 0,1% (figure 7). L'homozygotie est obtenue après croisement entre frères et sœurs d'une même génération. Il s'agit donc d'un processus long car plusieurs générations sont nécessaire à l'obtention d'une lignée pure. Par exemple, chez les animaux, une lignée pure est obtenue par accouplement de frères et sœurs après 20 générations de rétrocroisement. 



Figure 7 : Schéma représentant le rétrocroisement d’une lignée donneuse, possédant le transgène, avec une lignée receveuse en vue de l’obtention d’une lignée pure homozygote possédant 99,9999% de gènes de la lignée receveuse et le transgène cible de la lignée donneuse. 

L’obtention de souris double transgéniques exerçant le système Cre-lox nécessite au préalable le croisement de deux lignées pures : 
   - La lignée Cre : souris portant le transgène cre
   - La lignée rapportrice : souris portant les transgènes des séquences loxP. 

B) LES LIGNÉES DOUBLES TRANSGÉNIQUES 

Ces lignées possèdent dans leur génome le transgène cre et le gène d'intérêt borné par les séquences loxP. Ainsi, lorsque la protéine Cre est exprimée, elle va entrainer soit la délétion, l’inversion ou la translocation du gène selon l’orientation des séquences loxP.

C) INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS 

L’analyse de l’ADN génomique de chaque lignée peut être quantifié par polymerase chain reaction (PCR) en utilisant des amorces complémentaires à la séquence d’intérêt obtenue après une délétion, une insertion ou une translocation. Le repérage des fragments d’ADN se fait ensuite par migration sur gel et identification par la taille du produit PCR. La sélection des souris exprimant le transgène d’intérêt peut aussi se faire via l’utilisation de sonde fluorescente dépendante de l’enzyme Cre-recombinase.  

4. Exemple d’application : obtention des souris D2-cre/iFAT1

Afin d’étudier l'influence des oméga 3 sur les réseaux dopaminergiques du noyau accumbens, les auteurs de l’article faisant l’objet de notre blog, ont utilisé des souris transgéniques. Ces souris transgéniques, exprimant l'enzyme FAT1 permettant la conversion des omega-6 en omega-3, sont obtenues à partir du système Cre-Lox.

A) LES LIGNÉES SIMPLES TRANSGÉNIQUES

La lignée D2-Cre : Les souris issues de cette lignée vont exprimer la Cre-recombinase dans les neurones portant le récepteur dopaminergique D2. Cette localisation est spécifiée par l'insertion d'un promoteur inductible des récepteurs dopaminergiques D2(=D2 promoter) en amont du gène cre (figure 8).


Figure 8 : Schéma représentant le transgène inséré dans les souris de la lignée D2-Cre. Le gène exprimant la Cre-recombinase se trouvant à la suite d’un promoteur D2, ce dernier sera exprimé que dans les structures cérébrales exprimant le récepteur D2. 

La lignée rapportrice : Les souris issues de cette lignée vont présenter dans leur génome une séquence d'ADN codant pour l'enzyme FAT1. Entre ce gène et son promoteur (=CAG promoter), se trouve une cassette stop ne permettant pas la transcription du gène. Cette cassette stop est localisée entre deux sites loxP à direction identique (figure 9).

Figure 9 : Schéma représentant la cassette transgénique contenant le gène fat1. De gauche à droite, on trouve : le promoteur permettant l’initiation de la transcription possible de fat1; la cassette stop bornée par deux séquences loxP (en bleu) empêchant la transcription de fat1; le gène fat1; un signal de polyadenylation (pA) mettant fin à la transcription possible de fat1. Cette cassette est insérée dans le génome des souris de la lignée rapportrice. 

L’obtention de ces souris rapportrices est détaillée dans l’onglet « Pour aller plus loin »


B) LA LIGNÉE DOUBLE TRANSGÉNIQUE

Les souris de cette lignée seront en mesure de transcrire puis de traduire l’enzyme FAT1 au niveau des neurones exprimant les récepteurs D2. Elles sont obtenues après croisement des lignées simples transgéniques. On trouve alors au niveau de leur génome les transgènes cre et fat1. Ainsi, l’expression de l’enzyme Cre permet une délétion de la cassette stop entre les sites loxP du transgène fat1 et donc son expression (figure 10). 





Figure 10 : Schéma explicatif du processus Cre-lox dans le cas des souris transgéniques D2-Cre/ifat1

 

 


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